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1870. Importante lettre autographe signée de Jules Verne à son père, sans date. Deux pages et demie sur un papier de format 13,5 x 21 cm

« Crotoy, jeudi

Mon cher père,

J’arrive, après un voyage de huit jours. Je trouve ta lettre et celle de Paul. Je vois que rien n’est décidé dans ton voyage ; ou plutôt que tu es très hésitant. Je comprends cela, dans les circonstances actuelles, et surtout si tu te trouves un peu mieux. Véritablement, ta dernière lettre était un peu chauvine. Je n’ai pas tant envie que cela de rosser les Prussiens, ni de me faire rosser par eux.
 Remarque que Thiers avait raison et que toute satisfaction avait été donnée à la France par la renonciation du prince prussien (un Hohenzollern au trône d’Espagne – NDE) ; et si on a exigé plus c’est qu’on voulait la guerre par pur intérêt dynastique. Maintenant, comment cela n’ira-t-il, nul ne peut le prévoir. Ne soyons ni sots, ni fanfarons et convenons que les Prussiens valent les Français, maintenant que l’on se bat avec des armes à longue portée.
 Je viens de visiter avec le St. Michel Boulogne, Calais, Gravelines, Dunkerque. Je n’ai pas poussé jusqu’à Ostende, parce qu’au cas où la Belgique se serait déclarée contre nous, je n’avais pas envie de me faire retenir avec mon bateau. J’ai néanmoins fait un très charmant voyage.

Nous sommes tous ici très impatients d’avoir des nouvelles de la guerre ; mais jusqu’ici, il n’y a rien.
 Quelques dégringolades des fonds publics et des valeurs!
 Donne-nous de tes nouvelles mon cher père et des nouvelles de maman. Si tu ne pars pas tiens nous au courant. Dis-nous dans ta prochaine lettre si le mieux (souligné) de tes (un mot illisible : pieds ?) a persisté.
 Toujours (un mot illisible) horrible, et chaleur accablante. Belle année que 1870! La peste, la guerre et la disette. Dieu protège la France. Nous vous embrassons tous, maman, toi, la famille. Ton fils très affectueux. Jules Verne » 

Nous sommes donc juste après le 19 juillet 1870, au tout début des opérations et avant le désastre car tout va se dérouler très vite. « La Belgique contre nous », en dépit de sa neutralité est une éventualité qui préoccupe l’écrivain, dans une Europe qui, dans l’ensemble, est peu favorable à Napoléon III, ni à ses initiatives belliqueuses, brouillonnes et aventureuses, quand elles ne furent pas fantasques (Mexique) : Léopold est un Saxe-Cobourg-Gotha ! Evoquant les armes à longue portée, Verne fait allusion au Chassepot et au fusil Dreyse. Enfin, l’écrivain garde encore une certaine estime pour les Allemands. Il la perdra bientôt. Très intéressante lettre étant données les circonstances. A rapprocher de la lettre « politique » adressée à son père en décembre 1867.